citationUn jour pour descendre aux enfers. C’est comme ça que tu appelleras le livre sur ton histoire, si un jour tu l’écris.
Perchée dans la chambre au dernier étage où ton groupe séjourne pour la tournée du nouvel album, tu pleures toujours les larmes de ton corps, le papier que le Manager Cho t’a remis entre les mains. C’est une fin de contrat. Aussi abrupte que la redescente quand tu avalais une de ces pilules de bonheur, comme les appelait le mec du staff qui te les donnait contre des bisous gratuits.
Tu viens de foutre ta vie en l’air, tu le sais. Si tu as suivi des cours par correspondance, et avec un précepteur sorcier pour complémenter tes bases, tu n’as jamais rien fait à part chanter et danser. Et tu le faisais bien. Si bien qu’à 10 ans, tes parents t’ont inscrite à un cours de chant en espérant cesser de t’entendre pousser la chansonnette à tout va. Ils n’ont que réussi à s’imposer un chant plus mélodieux et moins de fausses notes.
Mais voilà, tu as 17 ans, et tu as tout gâché ! Et tu pleures si fort que tu en fais couler tout le maquillage qui recouvre ton visage et qui te donne bien 5 années de plus. Tout ce masque que l’industrie te fait porter pour que ton visage soit toujours parfait. Comme ton attitude aurait dû l’être. Ou ta santé.
En tremblant, tu attrapes ton téléphone et tu appuies sur le contact : “Maison”. À cette heure, ta mère doit toujours être à l’école primaire, où elle éduque les petits qui deviendront bientôt grands. Et comme pour te prouver que malgré la distance et l’éloignement émotionnel, tu les connais toujours aussi bien, c’est ton père qui décroche.
« Allo ?
-
Papa ? Papa, c’est Calla !-Hea-Jung ? Pourquoi appelles-tu à une heure pareille ?
-
Papa, je veux rentrer. Je… je veux arrêter la musique, je veux revenir à Busan et… vous revoir… aller à la fac comme les autres filles…. me… me faire des copines et…-Je ne comprends rien à ce que tu dis. Veux-tu bien te moucher et cesser de sangloter ? Qu’est-ce qui t’arrive encore ?
-
Encore ?!-Hae-Jung, tu nous as appelés, ta mère et moi, quand tu as loupé ta première audition, quand ton groupe n’a pas gagné le titre d’artistes de l’année, quand votre premier album n’est pas entré dans le top dix, quand tu étais fatiguée, quand tu étais perdue… À chaque fois c’est la même rengaine. Tu pleures comme ça, tu nous dis que tu veux rentrer et puis ta mère te parle et tu changes d’avis.
-
C’est différent cette fois. Tu murmures dans tes larmes
-Encore. Il soupire. En quoi est-ce différent ?
-
Je suis licenciée… -Tu es li… Qu’as-tu fait ?! »
Quand ton père te raccroche au nez, 5 minutes plus tard, tu n’as pas plus de solutions, mais tu découvres que ton corps avait des réserves d’eaux aussi conséquentes que le barrage de la paix dans la vallée du Bukhangang. Tu pleures longtemps.
Il fait nuit lorsque tu sors de ta torpeur. Ton téléphone ne cesse de vibrer, s’allumer puis s’éteindre. C’est sûrement ça qui t’as ramené à la conscience. Avec un geste automatique, tu attrapes la dernière génération de smartphone en vogue, t’annonçant qu’il s’agit de “Han-jae
” et tu décroches.
«
Calla ? Tout va bien ?-
Oppa… Tu murmures en appuyant encore plus le téléphone sur ta joue.
-
Raconte-moi tout, Calla. T’intime-t-il avec une douceur que seul ton frère a pour toi.
-
Je hais ce métier, ce milieu, ce qu’ils ont fait de moi ! Tu t’écris soudainement.
Je hais qu’on me force à avoir des seins et des fesses, qu’on ne m’habille presque pas. Je déteste ces types qui me suivent partout en me hurlant qu’ils m’aiment. Je ne supporte plus cette condescendance du Manager Cho envers nous toutes. Les filles ne disent rien, parce qu’elles veulent garder leur place. Mais moi… moi… ils m’ont cassée.-
Je viens te chercher ! T’annonce-t-il tout à coup. »
Tel un chevalier servant, ton grand frère est arrivé 1h et des poussières après. Il t’a déguisé d’un de ses grands pulls, il t’a même fait rentrer tes longs cheveux de jais dans un bonnet. Une paire de lunettes, un parapluie pour se protéger du déluge dehors et vous êtes partis. Comme ça. Comme des voleurs. Juste tous les deux.
Tu savais qu’il te sauverait de tout. Han-jae avait toujours veillé sur toi, comme si tu étais la chose la plus précieuse qu’il soit. Et tu lui avais rendu cet amour avec encore plus de force quand il avait lui-même traversé des remous. Pourtant, le matin suivant quand il rentre avec quelques courses dans son appartement minuscule de Séoul, il a tout sauf l’air aimant. Il te jette sur la table un magazine. Et ça marque le début de l’enfer.
«
Scandal pour les Number One, de la drogue pour la Reine !
Hier, leur chanteuse principale, la jeune et talentueuse Calla, de son vrai nom Hae-Jung RHEE s’est fait renvoyée pour faute grave. Son manager et la compagnie YG Entertainment ont découvert que l’idole, âgée de 17 ans, prenait de l’ecstasy dans les backstages, avant les concerts. Une attitude honteuse pour cette jeune femme incarnant l’espoir et l’amour de tout un… »
«
Tu comptais m’en parler quand ?! -
POUR QUE TU ME JETTES COMME PAPA ? Hurles-tu, en rejetant loin de toi le titre scandale de l’article que tu as ouvert aussi sec.
-
Quoi ?!-
Papa. Je l’ai appelé hier, et quand il a su qu’on me licenciait pour une affaire de drogue, il m’a raccroché au nez. En me précisant juste que j’étais la honte de la famille, et que je devais me débrouiller seule…-
Qu… Tu… Il… Han-jae soupire en passant une main sur son visage. Lentement, il vient s’asseoir en face de toi, et il reprend.
Je m’en fiche de ce licenciement. Mais j’espérais que s’il arrivait quelque chose aussi grave que prendre de la drogue, tu m’en aurais parlé, Calla. »
C’est comme ça que c’est venu sur le tapis, la première fois. Tout ce que tu avais toujours caché à tout le monde. Tout ce que tu gardais en toi, en te persuadant que ce n’était que de ton fait et de ta faute. Grâce à un frère compréhensif, qui était simplement déçu que tu ne l’aies pas appelé au secours plus tôt.
Alors, ce jour-là, blottie contre lui sur le canapé, dans un vieux plaid datant de vos années à la maison, avec vos parents, tu lui as tout dit. Combien ça avait été dur de partir de la maison à 12 ans parce que la YG entertainment t’avait récupérée comme future idole grâce à ta jolie bouille et ton incroyable voix. Le nombre d’auditions que tu as loupé pour des groupes qui ont cartonné si fort que tu te disais que ça ne marcherait jamais. L’isolement géographique, puis l’isolement psychique qu’ils t’ont imposés quand la compagnie a fait signer un transfert d’autorité à tes parents et t’ont peu à peu coupée de ta famille. Que lorsque tu as rejoint les Number One, tu n’arrivais pas à t’intégrer parce que toutes les filles étaient plus âgées que toi et t’en voulaient de mieux chanter.
Et avec ça, tu te retrouves à lui parler de la dépression. Ça a commencé à 14 ans, et à 15 tu as tenté de t’ouvrir les veines. Ses doigts glissent sur les imperfections de ton poignet gauche, que tu as déguisé comme était un accident entre toi et une table en verre. Tu lui expliques que la compagnie t’a fait voir un médecin, et que tu es sous anti-dépresseurs depuis. Que rien ne va mieux, mais qu’on te bourre de médicament et de vitamines pour que tu continues de chanter et de danser. Parce que les Number One, c’est toi, en faite.
C’est comme ça que tu es tombée sur l’ecstasy. On t’en a proposé, lors d’une soirée, et l’effet a été incroyable. Tu avais l’impression de retrouver un peu de ta couleur et de ta joie. Et c’est devenu une habitude, quand les journaux ont commencé à vanter ton énergie débordante sur scène. Ils ont mis ça sur le compte de ton adolescence ou d’un amour fictif avec une star d’un boys band, mais la vérité était juste moins belle, moins drôle, plus grave.
Et tu pleures à nouveau, sauf que cette fois-ci, il y a les bras de ton frère qui te serre contre son coeur, et tu sais qu’il ne te laissera plus tomber.
«
Tu as fini ta valise ?-
Oui, oppa. -
La clinique accepte de te recevoir dès demain. Tu es sûre que tu veux aller aussi loin ?-
Je ne peux pas rester en Corée, les médias vont s’acharner contre moi… je ne supporterai pas de les voir m’aspirer l’âme comme ça.-
Très bien, les billets pour Melbourne sont avec moi, on se mettra en route bientôt. Il hésite, inspire, puis demande.
Ça va ?-
Non. Tu es épuisée, complètement décrochée de tout.
-
Ça va aller. Tu vas te sortir de cette mauvaise passe, tu iras mieux et tu n’auras plus besoin de tous ces trucs. Tu redeviendras l’adorable Calla que tout le monde aime.-
Je n’ai plus rien. Non ! Tu l’arrêtes d’un geste alors qu’il ouvre aussi sec la bouche.
Je t’ai toi, je le sais. Mais tu ne peux pas être toute ma vie et mon futur. Tu finirais par te lasser.-
Ma Lala. Il vient s’asseoir à côté de toi, en t’attirant contre son torse.
Tu te souviens quand tu as commencé les cours de chant ? Tout le monde croyait que tu cesserais de chanter à tue-tête en permanence. Au final, tu as chanté deux fois plus, mais il n’y avait plus de fausses notes. -
Pourquoi tu…-
Et quand la YG t’a auditionné, à l’amphithéâtre de Busan ? Tu rayonnais et quand tu es redescendue de scène, tu te souviens de ce que tu as dit ?-
”Je ne me souviens de rien, mais c’était une jolie chanson.”-
Et quand vous avez sorti votre premier album, et que tu prenais des selfies partout avec, tellement tu étais fière ? Ou cette fan qui t’a dit qu’elle vous écoutait en boucle pendant sa rééducation et qui a fini par aller mieux en partie grâce à ton énergie ? -
Je m’en souviens, mais je ne comprends pas pourquoi tu me parles de tout ça. Tes yeux sont mouillés, alors que tous ces bons souvenirs te brisent un peu plus le coeur. Tu ne pourras plus jamais exercer en Corée. La YG est l’accusatrice, le juge et les jurés dans le milieu de la musique.
-
Parce que tu as autre chose. La Musique. Calla, où que tu ailles, quoi que tu fasses, tu auras toujours la musique avec toi. Si ce n’est pas ici, va conquérir l’Europe ou les États-Unis !-
Ou l’Australie… »
Il t’embrasse sur le front en te disant qu’il faut y aller. Et le coeur étrangement plus léger, tu suis ton aîné, la main dans la sienne.
Note : Elle a suivi une cure de désintoxication pour les anti-dépresseurs et l’ecstasy
Elle voit encore régulièrement une psychiatre de l’hôpital
Elle s’est rasée les cheveux après quelques semaines en cure de désintoxication parce que des paparazzis avaient entendu des rumeurs de sa présence à Melbourne
Elle va mieux, même si elle est maigrelette et enlaidie par la fatigue et le manque de cheveux.
Elle a finalement été découverte à Melbourne à la fin de sa cure, et elle a déménagé à Mapple Town.
Elle essaie de vivre de la musique et se produit dans les bars et autres salles qui veulent bien d’elle. Sinon elle joue de la guitare ou du hautbois dans la rue. Ou elle chante.
Son frère voyage beaucoup, donc elle a préféré prendre une chambre dans une auberge de jeunesse et elle n’a jamais cherché d’appartement (elle n’a pas les moyens de toute manière).
Elle a rencontré celui qu’elle croyait être l’amour de sa vie l’an dernier. Et après l’avoir aimé, il l’a jetée, reprise, rejetée et elle a pris ses distances.
Vous savez quoi ? Elle est retombée sur lui récemment et elle l’aime toujours autant. Elle croit même qu’ils sont définitivement ensemble, cette fois-ci.